Pour une dignité politique!
Nous sommes issu-es de la colonisation, de la traite transatlantique ou de l’immigration économique ou politique en provenance des pays du Sud. Nous sommes les descendants des colonisés que vous n’avez pas encore éliminés. Nous sommes les descendants des esclaves qui ont survécu aux traites humaines. Nous sommes ceux et celles qui ont fui leurs pays bombardés par l’OTAN en vue de les inféoder et qui sont le plus souvent pillés par les missionnaires de la démocratie pour perpétuer votre modèle de surconsommation. Nous sommes les femmes qui sont opprimées par votre féminisme plus idéologique que pratique. Nous sommes les migrants qui sont emprisonnés pour le crime de ne pas avoir les bons papiers, les corps bastonnés et tirés par la police, les non et sous-citoyens qui sont écartés de l’universalité supposée des droits de votre belle Déclaration des droits de l'homme. Nous sommes le Sud dans le Nord ! Nous reconnaissons que, parmi nous, il existe aussi une hiérarchie interne complexifiée par la race, le genre, la classe et d’autres stratifications créées par des stratégies de division coloniale qui ont permis à des États-nations hégémoniques de capitaliser. Nous faisons partie des millions de personnes qui constituent des marées historiques poussées à l’exil et à l’errance par l’expansionnisme capitaliste occidental. Dans les Amériques, nous sommes les complices silencieux et démunis qui assistent à la colonisation des territoires des peuples autochtones, ainsi qu’à leurs génocides culturels et physiques. En bref, nous sommes les subalternes de la suprématie blanche. Aujourd’hui, nous vivons une séquence particulièrement hostile. Au Québec, la CAQ (Coalition Avenir Québec) est arrivée au pouvoir et sa priorité a été celle de renforcer des mesures confortant les racistes, les xénophobes et les tendances islamophobes. Même les alliés naturels ne semblent pas vouloir reconnaître le caractère raciste de ces mesures. Tout cela pendant que nos politiciens se complaisent dans la dénégation du racisme dans notre société, niant ainsi dans l’indifférence ce que vivent de nombreux Québécois et Québécoises. Ils ont même adopté unanimement à l’Assemblée nationale une motion interdisant les critiques antiracistes au prétexte qu’elles représentent une attaque contre la nation québécoise. En dépit de tout le travail de sensibilisation et de commémoration autour de l’attaque terroriste ayant pris pour cible la Grande mosquée de Québec, notre classe politique se mure encore dans la dénégation de l’islamophobie. Une indifférence qui ajoute à la souffrance des proches des 7 morts, 5 blessés, 17 orphelins, ainsi que de toute une communauté traumatisée. Ceux et celles qui nient encore son existence continueront à mieux cacher leur complicité implicite dans la toxicité du climat social actuel. Pire encore, depuis quelques semaines, le gouvernement québécois a déposé un projet de loi (PL21) liberticide qui limitera les droits fondamentaux de nombreuses personnes en leur interdisant de porter des signes religieux. Pour assurer son adoption, le gouvernement aura recours à la clause dérogatoire sans aucune raison urgente ou réelle pour contourner les chartes canadienne et québécoise et éviter toute contestation constitutionnelle. Cette manœuvre n’est qu’une lâche stratégie électoraliste qui sert à favoriser les majoritaires et faire taire leurs réelles revendications sociales ayant un véritable impact sur la qualité de vie de tous et toutes. Sacrifier indignement des droits d’une partie du peuple discrédite définitivement ces politiques qui peinent encore à justifier les dérives de leur idéologie néolibérale. Au niveau fédéral, le Canada ne fait pas exception. Les mesures de profilage encouragées par l’État ciblent objectivement les mêmes corps : depuis 2003, le taux d’incarcération des Noirs a augmenté de 80 % et celui des Autochtones de 46 %, tandis que le nombre de personnes blanches a diminué, lui, de 3 %.[1] À l’échelle globale, le Canada contribue au pillage des ressources des pays du Sud à travers ses compagnies minières et la politique impérialiste qu’il mène en Amérique latine, au Moyen-Orient et en Afrique. Son rôle ne se limite pas seulement au pillage : 75 % de l'industrie minière mondiale est localisée au Canada, et 60% de sociétés minières cotées en Bourse le sont à la Bourse de Toronto[2]. Les pays qui résisteront à l’exploitation de leur ressource et qui aspirent à les mettre au bénéfice de leur population devront en découdre avec les convoitises impérialistes. Face à ça, pour construire l'unité et la résistance, nous aurons besoin d'un travail de politisation des masses et de mesures démocratiques et égalitaires à l'interne. En 2015, le Canada s’est classé au 2e rang des pays exportateurs d'armes vers le Moyen-Orient[3] et il continue aujourd’hui à en vendre à des États génocidaires comme l’Arabie Saoudite et Israël. Ces guerres génèrent des exils et des souffrances auxquels répondent des politiques migratoires de fermeture et sélectives. Dans un contexte mondial caractérisé par la montée de l’extrême droite, nous sommes les personnes les plus affectées. Les processus électoraux dans les dits pays du monde libre, quand ils ne portent pas au pouvoir l’extrême droite, font circuler ses thèmes de prédilection : ceux-ci contaminent les tendances libérales et dites de gauche. Autant de phénomènes qui suscitent des questionnements essentiels : de quels garde-fous disposent encore les démocraties occidentales dont la légitimité est largement mise à mal? Est-ce qu’un Québec indépendant répond nécessairement à une révolution sociale, économique et environnementale pour renverser l’ordre établi en vue de le remettre au service du peuple ? Est-il sensé de reconnaître la souveraineté d’un peuple colonisateur, un peuple qui était maître des esclaves, sur les territoires des peuples colonisés ? Nous déclarons qu’il n y a pas de ruptures fondamentales dans les rapports historiques entre les Euro-descendant et les populations victimes de racisme dans le Québec contemporain. Les variations observées actuellement relèvent de l’adaptation de ces logiques coloniales et ne sont pas un épiphénomène marginal. Nous, membres de ce collectif, rejetons les fausses dichotomies, soit entre des fédéralistes et souverainistes, qui sont les premiers bénéficiaires du système capitaliste, soit par une gauche québécoise incapable de proposer une rupture avec le statu quo actuel qui repose sur la domination politique, sociale et économique des personnes non blanches. Nous avons une pensée solidaire pour les peuples autochtones meurtris et laissés dans l’indignité. Nous sommes conscients du fait que nous sommes partie prenante de l’occupation de leurs territoires. Qu’il soit question d’agir sur des rapports à deux vitesses entre les pays du Nord et du Sud, ou de mener le bras de fer perpétuel avec le pouvoir institutionnel et à la mobilisation des mouvements militants, le Canada et le Québec doivent opérer un retour critique radical sur leur passé-présent colonial. Notre but est de créer des espaces de politisation et d’auto-organisation politique qui interpellent le système en place dans une perspective visant à mener un combat commun de tous les opprimées et les exploités de la planète pour une dignité politique sans compromission. Nous ne voulons pas de la charité de la gauche blanche ni de son "fraternalisme". Nous refusons de nous faire dicter notre agenda politique, comme nous l'avons toujours fait- en vain le plus souvent - mais sans relâche. Nous affirmons notre parti pris pour la justice sociale et économique au service du plus grand nombre. L’histoire du Québec militante est riche en exemples d’un peuple inspiré par le contexte mondial et nord-américain : on peut citer notamment l’acte de résistance de Marie-Josèphe Angélique à, la lutte pour l’indépendance haïtienne, la révolution cubaine qui a influencé le mouvement indépendantiste québécois, le mouvement québécois contre l’apartheid sud-africain. C’est ici au Québec qu'ont eu lieu les plus grandes manifestations en Amérique du Nord contre les guerres impérialistes dans les années 90s. Plus que jamais, dans le contexte de la mondialisation capitaliste et devant la destruction de la planète, il faut tisser une résistance qui casse les moules raciaux coloniaux dans la convergence de luttes qui ne seraient pas un mot d'ordre creux, mais le résultat d'alliances politiques fondées sur des intérêts communs. C’est ici au Québec que nous menons notre combat pour une dignité politique ! [1] Rapport annuel du bureau de l’enquêteur correctionnel 2013 En ligne https://www.ledevoir.com/politique/canada/393751/surrepresentation-des-minorites-visibles-dans-les-penitenciers [2] En ligne http://www.slate.fr/story/64765/mine-canada [3] En ligne http://www.rcinet.ca/fr/2016/06/16/le-canada-un-des-principaux-pays-exportateurs-darmes-au-moyen-orient/
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